La société Milee qui distribuait les prospectus dans les boîtes aux lettres a été liquidée début septembre. Pour les syndicats, cette situation montre le manque de réflexion autour de la transition écologique.
C’est la fin d’un modèle qui laisse 10 000 salariés au bord de la route. Pourtant, de la route, ces derniers en ont parcouru pour distribuer des prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres. À pied, en voiture ou à vélo. Partout en France et par tous les temps. Le 9 septembre dernier, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la liquidation de leur employeur, la société Milee, ex-Adrexo, et de trois autres sociétés, toutes propriété du groupe Hopps.
Le juge a ainsi acté le licenciement des quelque 5 000 derniers employés. Déjà cet été, 5 000 de leurs collègues avaient été licenciés dans le cadre d’un « plan de sauvegarde de l’emploi ». Milee était en procédure de redressement depuis le 30 mai. Il s’agit du plus gros plan social des quatre dernières décennies.
« J’étais en CDI depuis 2016 chez Milee, témoigne Ludivine, 34 ans, qui rayonnait dans le secteur de Roubaix-Tourcoing.
J’en ai fait des kilomètres, avec mon chariot. Je ne les comptais plus ! » Elle gagnait « entre 1 700 et 1 900 euros» les premières années. Mais à son retour de congé parental, en octobre 2023, ce fut la douche froide : son salaire avait été divisé par trois. « Je ne gagnais plus que 600 euros pour le même nombre d’heures, soit 26 heures par semaine, et sans remboursement des frais de gazole. Ils voulaient nous pousser à partir », analyse- t-elle aujourd’hui.
Une catastrophe sociale et humaine
Les salariés de Milee étaient pour la plupart sans diplôme, étudiants, à temps partiel, en préretraite ou déjà à la retraite.
« Les prospectus étaient un moyen de compléter une petite retraite pour beaucoup et leur permettait d’avoir une activité physique et de créer du lien social, dit Guillaume Commenge, secrétaire fédéral du SNPEP-FO (syndicat national Presse-Édition-Publicité). Sinon, ils seraient restés chez eux, seuls devant la télé. »
Selon la Fédération Sud-PTT, 1 750 personnes licenciées ont plus de 70 ans. Pour certains, ce salaire — qui pouvait aller de 600 à 800 euros environ avec un paiement « à la tâche » — était un complément de revenus. Pour d’autres, c’était leur seule ressource.
Ludivine attend encore le paiement de ses salaires d’août et septembre : « On est dans l’obligation de payer notre loyer, de remplir le frigo. On fait comment ? » s’interroge cette mère de quatre enfants. Les syndicats alertent sur la catastrophe sociale et humaine qui est en cours. « Une partie des familles se retrouve déjà en grande difficulté », souligne Guillaume Commenge. Impossibilité de payer ses factures, son essence et même sa nourriture… L’engrenage de la grande précarité peut se mettre en route très vite, dès lors que les interdits bancaires et les agios commencent à tomber. Et ce, d’autant que bon nombre des licenciés n’ont pas encore reçu les documents leur permettant de postuler à France Travail et de bénéficier de leurs droits au chômage.
Interpellé le 8 octobre par Zahia Hamdane (La France insoumise) à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Marc Ferracci s’est engagé à ce que « les salaires soient versés dans les plus brefs délais » et que des solutions de reconversion soient proposées.
Le coup de grâce avec Oui pub
Milee a fait face ces dernières années à diverses déconvenues, mais sa faillite trouve avant tout son origine dans la baisse structurelle et progressive du volume de prospectus distribués. Le coup de grâce est venu avec la mise en place de l’expérimentation de « Oui pub » il y a deux ans. Issu de la loi Climat et Résilience, le dispositif est testé jusque fin 2025 dans une quinzaine de territoires, avant une éventuelle généralisation.
Ainsi, dans les métropoles de Grenoble, Agen, Troyes ou encore Nancy, la distribution de courriers à visée commerciale et non adressés est désormais interdite. Seules les personnes qui ont apposé la mention « Oui pub » sur leur boîte aux lettres sont desservies.
Objectif : réduire le gaspillage de papier, car ces publicités peuvent représenter jusqu’à 26 kilos de papier par an et par foyer. Selon les premiers retours d’expérience, une majorité des ménages des régions concernées choisiraient de ne plus recevoir d’imprimés publicitaires.
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique »
En réaction à cette mesure, les enseignes de la grande distribution, principales clientes de Milee, ont commencé à réduire le nombre de leurs catalogues publicitaires, voire à les supprimer. Le marché aurait diminué de moitié en quatre ans, passant de 10,4 milliards d’imprimés publicitaires en 2019 à 5,7 milliards en 2023, selon La Poste.
Papier biodégradable, encres écologiques…
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique, juge Guillaume Commenge. On avait là une belle opportunité de produire proprement, de lancer une réindustrialisation locale avec la filière bois, et en imposant des normes de haute qualité environnementale et sociale. Les prospectus publicitaires peuvent ne pas être polluants. On sait faire avec le papier biodégradable, les encres écologiques… »
Avec son syndicat, il dénonce la disparition de l’imprimé publicitaire au profit de la publicité numérique : « Rien ne prouve que celle-ci soit moins polluante que le papier. Le marché de la pub sur internet est actuellement récupéré par les géants du numérique, les Gafam. On assiste donc à une délocalisation de l’emploi et de la pollution. » Désormais, c’est toute la filière de la publicité et du mannequinat qui serait touchée. « D’autres faillites et suppressions d’emplois sont à venir », avertit le SNPEP-FO. Guillaume Commerge estime, pour sa part, qu’il faut avoir une réflexion de fond sur le principe même de la publicité : « Comment veut-on valoriser les produits ? Le prospectus est un moyen d’informer les consommateurs. C’est aussi une question de démocratie. »
Sud-PTT parle quant à lui dans un communiqué d’« une démonstration implacable de l’incurie des pouvoirs publics pour accompagner les impacts de la transition écologique » et d’« un signal très inquiétant pour le mouvement écologique ». La loi Climat et Résilience prévoyait un rapport d’évaluation de l’expérimentation « Oui pub » au bout de deux ans. L’Agence de la transition écologique (Ademe) nous a confirmé que le gouvernement le remettrait fin octobre aux parlementaires. Il contiendra notamment une étude comparée de l’impact environnemental des campagnes publicitaires via des imprimés papier et de celles effectuées par voie numérique.
Une partie sera aussi consacrée aux conséquences sur l’emploi du petit autocollant « Oui pub ». Une analyse bien tardive. Milee n’a pas attendu ce rapport, ni la généralisation du dispositif sur tout le territoire, pour mettre la clé sous la porte.
2.11.0La société Milee qui distribuait les prospectus dans les boîtes aux lettres a été liquidée début septembre. Pour les syndicats, cette situation montre le manque de réflexion autour de la transition écologique.
C’est la fin d’un modèle qui laisse 10 000 salariés au bord de la route. Pourtant, de la route, ces derniers en ont parcouru pour distribuer des prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres. À pied, en voiture ou à vélo. Partout en France et par tous les temps. Le 9 septembre dernier, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la liquidation de leur employeur, la société Milee, ex-Adrexo, et de trois autres sociétés, toutes propriété du groupe Hopps.
Le juge a ainsi acté le licenciement des quelque 5 000 derniers employés. Déjà cet été, 5 000 de leurs collègues avaient été licenciés dans le cadre d’un « plan de sauvegarde de l’emploi ». Milee était en procédure de redressement depuis le 30 mai. Il s’agit du plus gros plan social des quatre dernières décennies.
« J’étais en CDI depuis 2016 chez Milee, témoigne Ludivine, 34 ans, qui rayonnait dans le secteur de Roubaix-Tourcoing.
J’en ai fait des kilomètres, avec mon chariot. Je ne les comptais plus ! » Elle gagnait « entre 1 700 et 1 900 euros» les premières années. Mais à son retour de congé parental, en octobre 2023, ce fut la douche froide : son salaire avait été divisé par trois. « Je ne gagnais plus que 600 euros pour le même nombre d’heures, soit 26 heures par semaine, et sans remboursement des frais de gazole. Ils voulaient nous pousser à partir », analyse- t-elle aujourd’hui.
Une catastrophe sociale et humaine
Les salariés de Milee étaient pour la plupart sans diplôme, étudiants, à temps partiel, en préretraite ou déjà à la retraite.
« Les prospectus étaient un moyen de compléter une petite retraite pour beaucoup et leur permettait d’avoir une activité physique et de créer du lien social, dit Guillaume Commenge, secrétaire fédéral du SNPEP-FO (syndicat national Presse-Édition-Publicité). Sinon, ils seraient restés chez eux, seuls devant la télé. »
Selon la Fédération Sud-PTT, 1 750 personnes licenciées ont plus de 70 ans. Pour certains, ce salaire — qui pouvait aller de 600 à 800 euros environ avec un paiement « à la tâche » — était un complément de revenus. Pour d’autres, c’était leur seule ressource.
Ludivine attend encore le paiement de ses salaires d’août et septembre : « On est dans l’obligation de payer notre loyer, de remplir le frigo. On fait comment ? » s’interroge cette mère de quatre enfants. Les syndicats alertent sur la catastrophe sociale et humaine qui est en cours. « Une partie des familles se retrouve déjà en grande difficulté », souligne Guillaume Commenge. Impossibilité de payer ses factures, son essence et même sa nourriture… L’engrenage de la grande précarité peut se mettre en route très vite, dès lors que les interdits bancaires et les agios commencent à tomber. Et ce, d’autant que bon nombre des licenciés n’ont pas encore reçu les documents leur permettant de postuler à France Travail et de bénéficier de leurs droits au chômage.
Interpellé le 8 octobre par Zahia Hamdane (La France insoumise) à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Marc Ferracci s’est engagé à ce que « les salaires soient versés dans les plus brefs délais » et que des solutions de reconversion soient proposées.
Le coup de grâce avec Oui pub
Milee a fait face ces dernières années à diverses déconvenues, mais sa faillite trouve avant tout son origine dans la baisse structurelle et progressive du volume de prospectus distribués. Le coup de grâce est venu avec la mise en place de l’expérimentation de « Oui pub » il y a deux ans. Issu de la loi Climat et Résilience, le dispositif est testé jusque fin 2025 dans une quinzaine de territoires, avant une éventuelle généralisation.
Ainsi, dans les métropoles de Grenoble, Agen, Troyes ou encore Nancy, la distribution de courriers à visée commerciale et non adressés est désormais interdite. Seules les personnes qui ont apposé la mention « Oui pub » sur leur boîte aux lettres sont desservies.
Objectif : réduire le gaspillage de papier, car ces publicités peuvent représenter jusqu’à 26 kilos de papier par an et par foyer. Selon les premiers retours d’expérience, une majorité des ménages des régions concernées choisiraient de ne plus recevoir d’imprimés publicitaires.
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique »
En réaction à cette mesure, les enseignes de la grande distribution, principales clientes de Milee, ont commencé à réduire le nombre de leurs catalogues publicitaires, voire à les supprimer. Le marché aurait diminué de moitié en quatre ans, passant de 10,4 milliards d’imprimés publicitaires en 2019 à 5,7 milliards en 2023, selon La Poste.
Papier biodégradable, encres écologiques…
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique, juge Guillaume Commenge. On avait là une belle opportunité de produire proprement, de lancer une réindustrialisation locale avec la filière bois, et en imposant des normes de haute qualité environnementale et sociale. Les prospectus publicitaires peuvent ne pas être polluants. On sait faire avec le papier biodégradable, les encres écologiques… »
Avec son syndicat, il dénonce la disparition de l’imprimé publicitaire au profit de la publicité numérique : « Rien ne prouve que celle-ci soit moins polluante que le papier. Le marché de la pub sur internet est actuellement récupéré par les géants du numérique, les Gafam. On assiste donc à une délocalisation de l’emploi et de la pollution. » Désormais, c’est toute la filière de la publicité et du mannequinat qui serait touchée. « D’autres faillites et suppressions d’emplois sont à venir », avertit le SNPEP-FO. Guillaume Commerge estime, pour sa part, qu’il faut avoir une réflexion de fond sur le principe même de la publicité : « Comment veut-on valoriser les produits ? Le prospectus est un moyen d’informer les consommateurs. C’est aussi une question de démocratie. »
Sud-PTT parle quant à lui dans un communiqué d’« une démonstration implacable de l’incurie des pouvoirs publics pour accompagner les impacts de la transition écologique » et d’« un signal très inquiétant pour le mouvement écologique ». La loi Climat et Résilience prévoyait un rapport d’évaluation de l’expérimentation « Oui pub » au bout de deux ans. L’Agence de la transition écologique (Ademe) nous a confirmé que le gouvernement le remettrait fin octobre aux parlementaires. Il contiendra notamment une étude comparée de l’impact environnemental des campagnes publicitaires via des imprimés papier et de celles effectuées par voie numérique.
Une partie sera aussi consacrée aux conséquences sur l’emploi du petit autocollant « Oui pub ». Une analyse bien tardive. Milee n’a pas attendu ce rapport, ni la généralisation du dispositif sur tout le territoire, pour mettre la clé sous l
La société Milee qui distribuait les prospectus dans les boîtes aux lettres a été liquidée début septembre. Pour les syndicats, cette situation montre le manque de réflexion autour de la transition écologique.
C’est la fin d’un modèle qui laisse 10 000 salariés au bord de la route. Pourtant, de la route, ces derniers en ont parcouru pour distribuer des prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres. À pied, en voiture ou à vélo. Partout en France et par tous les temps. Le 9 septembre dernier, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la liquidation de leur employeur, la société Milee, ex-Adrexo, et de trois autres sociétés, toutes propriété du groupe Hopps.
Le juge a ainsi acté le licenciement des quelque 5 000 derniers employés. Déjà cet été, 5 000 de leurs collègues avaient été licenciés dans le cadre d’un « plan de sauvegarde de l’emploi ». Milee était en procédure de redressement depuis le 30 mai. Il s’agit du plus gros plan social des quatre dernières décennies.
« J’étais en CDI depuis 2016 chez Milee, témoigne Ludivine, 34 ans, qui rayonnait dans le secteur de Roubaix-Tourcoing.
J’en ai fait des kilomètres, avec mon chariot. Je ne les comptais plus ! » Elle gagnait « entre 1 700 et 1 900 euros» les premières années. Mais à son retour de congé parental, en octobre 2023, ce fut la douche froide : son salaire avait été divisé par trois. « Je ne gagnais plus que 600 euros pour le même nombre d’heures, soit 26 heures par semaine, et sans remboursement des frais de gazole. Ils voulaient nous pousser à partir », analyse- t-elle aujourd’hui.
Une catastrophe sociale et humaine
Les salariés de Milee étaient pour la plupart sans diplôme, étudiants, à temps partiel, en préretraite ou déjà à la retraite.
« Les prospectus étaient un moyen de compléter une petite retraite pour beaucoup et leur permettait d’avoir une activité physique et de créer du lien social, dit Guillaume Commenge, secrétaire fédéral du SNPEP-FO (syndicat national Presse-Édition-Publicité). Sinon, ils seraient restés chez eux, seuls devant la télé. »
Selon la Fédération Sud-PTT, 1 750 personnes licenciées ont plus de 70 ans. Pour certains, ce salaire — qui pouvait aller de 600 à 800 euros environ avec un paiement « à la tâche » — était un complément de revenus. Pour d’autres, c’était leur seule ressource.
Ludivine attend encore le paiement de ses salaires d’août et septembre : « On est dans l’obligation de payer notre loyer, de remplir le frigo. On fait comment ? » s’interroge cette mère de quatre enfants. Les syndicats alertent sur la catastrophe sociale et humaine qui est en cours. « Une partie des familles se retrouve déjà en grande difficulté », souligne Guillaume Commenge. Impossibilité de payer ses factures, son essence et même sa nourriture… L’engrenage de la grande précarité peut se mettre en route très vite, dès lors que les interdits bancaires et les agios commencent à tomber. Et ce, d’autant que bon nombre des licenciés n’ont pas encore reçu les documents leur permettant de postuler à France Travail et de bénéficier de leurs droits au chômage.
Interpellé le 8 octobre par Zahia Hamdane (La France insoumise) à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Marc Ferracci s’est engagé à ce que « les salaires soient versés dans les plus brefs délais » et que des solutions de reconversion soient proposées.
Le coup de grâce avec Oui pub
Milee a fait face ces dernières années à diverses déconvenues, mais sa faillite trouve avant tout son origine dans la baisse structurelle et progressive du volume de prospectus distribués. Le coup de grâce est venu avec la mise en place de l’expérimentation de « Oui pub » il y a deux ans. Issu de la loi Climat et Résilience, le dispositif est testé jusque fin 2025 dans une quinzaine de territoires, avant une éventuelle généralisation.
Ainsi, dans les métropoles de Grenoble, Agen, Troyes ou encore Nancy, la distribution de courriers à visée commerciale et non adressés est désormais interdite. Seules les personnes qui ont apposé la mention « Oui pub » sur leur boîte aux lettres sont desservies.
Objectif : réduire le gaspillage de papier, car ces publicités peuvent représenter jusqu’à 26 kilos de papier par an et par foyer. Selon les premiers retours d’expérience, une majorité des ménages des régions concernées choisiraient de ne plus recevoir d’imprimés publicitaires.
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique »
En réaction à cette mesure, les enseignes de la grande distribution, principales clientes de Milee, ont commencé à réduire le nombre de leurs catalogues publicitaires, voire à les supprimer. Le marché aurait diminué de moitié en quatre ans, passant de 10,4 milliards d’imprimés publicitaires en 2019 à 5,7 milliards en 2023, selon La Poste.
Papier biodégradable, encres écologiques…
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique, juge Guillaume Commenge. On avait là une belle opportunité de produire proprement, de lancer une réindustrialisation locale avec la filière bois, et en imposant des normes de haute qualité environnementale et sociale. Les prospectus publicitaires peuvent ne pas être polluants. On sait faire avec le papier biodégradable, les encres écologiques… »
Avec son syndicat, il dénonce la disparition de l’imprimé publicitaire au profit de la publicité numérique : « Rien ne prouve que celle-ci soit moins polluante que le papier. Le marché de la pub sur internet est actuellement récupéré par les géants du numérique, les Gafam. On assiste donc à une délocalisation de l’emploi et de la pollution. » Désormais, c’est toute la filière de la publicité et du mannequinat qui serait touchée. « D’autres faillites et suppressions d’emplois sont à venir », avertit le SNPEP-FO. Guillaume Commerge estime, pour sa part, qu’il faut avoir une réflexion de fond sur le principe même de la publicité : « Comment veut-on valoriser les produits ? Le prospectus est un moyen d’informer les consommateurs. C’est aussi une question de démocratie. »
Sud-PTT parle quant à lui dans un communiqué d’« une démonstration implacable de l’incurie des pouvoirs publics pour accompagner les impacts de la transition écologique » et d’« un signal très inquiétant pour le mouvement écologique ». La loi Climat et Résilience prévoyait un rapport d’évaluation de l’expérimentation « Oui pub » au bout de deux ans. L’Agence de la transition écologique (Ademe) nous a confirmé que le gouvernement le remettrait fin octobre aux parlementaires. Il contiendra notamment une étude comparée de l’impact environnemental des campagnes publicitaires via des imprimés papier et de celles effectuées par voie numérique.
Une partie sera aussi consacrée aux conséquences sur l’emploi du petit autocollant « Oui pub ». Une analyse bien tardive. Milee n’a pas attendu ce rapport, ni la généralisation du dispositif sur tout le territoire, pour mettre la clé sous la porte.
La société Milee qui distribuait les prospectus dans les boîtes aux lettres a été liquidée début septembre. Pour les syndicats, cette situation montre le manque de réflexion autour de la transition écologique.
C’est la fin d’un modèle qui laisse 10 000 salariés au bord de la route. Pourtant, de la route, ces derniers en ont parcouru pour distribuer des prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres. À pied, en voiture ou à vélo. Partout en France et par tous les temps. Le 9 septembre dernier, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la liquidation de leur employeur, la société Milee, ex-Adrexo, et de trois autres sociétés, toutes propriété du groupe Hopps.
Le juge a ainsi acté le licenciement des quelque 5 000 derniers employés. Déjà cet été, 5 000 de leurs collègues avaient été licenciés dans le cadre d’un « plan de sauvegarde de l’emploi ». Milee était en procédure de redressement depuis le 30 mai. Il s’agit du plus gros plan social des quatre dernières décennies.
« J’étais en CDI depuis 2016 chez Milee, témoigne Ludivine, 34 ans, qui rayonnait dans le secteur de Roubaix-Tourcoing.
J’en ai fait des kilomètres, avec mon chariot. Je ne les comptais plus ! » Elle gagnait « entre 1 700 et 1 900 euros» les premières années. Mais à son retour de congé parental, en octobre 2023, ce fut la douche froide : son salaire avait été divisé par trois. « Je ne gagnais plus que 600 euros pour le même nombre d’heures, soit 26 heures par semaine, et sans remboursement des frais de gazole. Ils voulaient nous pousser à partir », analyse- t-elle aujourd’hui.
Une catastrophe sociale et humaine
Les salariés de Milee étaient pour la plupart sans diplôme, étudiants, à temps partiel, en préretraite ou déjà à la retraite.
« Les prospectus étaient un moyen de compléter une petite retraite pour beaucoup et leur permettait d’avoir une activité physique et de créer du lien social, dit Guillaume Commenge, secrétaire fédéral du SNPEP-FO (syndicat national Presse-Édition-Publicité). Sinon, ils seraient restés chez eux, seuls devant la télé. »
Selon la Fédération Sud-PTT, 1 750 personnes licenciées ont plus de 70 ans. Pour certains, ce salaire — qui pouvait aller de 600 à 800 euros environ avec un paiement « à la tâche » — était un complément de revenus. Pour d’autres, c’était leur seule ressource.
Ludivine attend encore le paiement de ses salaires d’août et septembre : « On est dans l’obligation de payer notre loyer, de remplir le frigo. On fait comment ? » s’interroge cette mère de quatre enfants. Les syndicats alertent sur la catastrophe sociale et humaine qui est en cours. « Une partie des familles se retrouve déjà en grande difficulté », souligne Guillaume Commenge. Impossibilité de payer ses factures, son essence et même sa nourriture… L’engrenage de la grande précarité peut se mettre en route très vite, dès lors que les interdits bancaires et les agios commencent à tomber. Et ce, d’autant que bon nombre des licenciés n’ont pas encore reçu les documents leur permettant de postuler à France Travail et de bénéficier de leurs droits au chômage.
Interpellé le 8 octobre par Zahia Hamdane (La France insoumise) à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail Marc Ferracci s’est engagé à ce que « les salaires soient versés dans les plus brefs délais » et que des solutions de reconversion soient proposées.
Le coup de grâce avec Oui pub
Milee a fait face ces dernières années à diverses déconvenues, mais sa faillite trouve avant tout son origine dans la baisse structurelle et progressive du volume de prospectus distribués. Le coup de grâce est venu avec la mise en place de l’expérimentation de « Oui pub » il y a deux ans. Issu de la loi Climat et Résilience, le dispositif est testé jusque fin 2025 dans une quinzaine de territoires, avant une éventuelle généralisation.
Ainsi, dans les métropoles de Grenoble, Agen, Troyes ou encore Nancy, la distribution de courriers à visée commerciale et non adressés est désormais interdite. Seules les personnes qui ont apposé la mention « Oui pub » sur leur boîte aux lettres sont desservies.
Objectif : réduire le gaspillage de papier, car ces publicités peuvent représenter jusqu’à 26 kilos de papier par an et par foyer. Selon les premiers retours d’expérience, une majorité des ménages des régions concernées choisiraient de ne plus recevoir d’imprimés publicitaires.
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique »
En réaction à cette mesure, les enseignes de la grande distribution, principales clientes de Milee, ont commencé à réduire le nombre de leurs catalogues publicitaires, voire à les supprimer. Le marché aurait diminué de moitié en quatre ans, passant de 10,4 milliards d’imprimés publicitaires en 2019 à 5,7 milliards en 2023, selon La Poste.
Papier biodégradable, encres écologiques…
« Il s’agit d’un gros raté de la transition écologique, juge Guillaume Commenge. On avait là une belle opportunité de produire proprement, de lancer une réindustrialisation locale avec la filière bois, et en imposant des normes de haute qualité environnementale et sociale. Les prospectus publicitaires peuvent ne pas être polluants. On sait faire avec le papier biodégradable, les encres écologiques… »
Avec son syndicat, il dénonce la disparition de l’imprimé publicitaire au profit de la publicité numérique : « Rien ne prouve que celle-ci soit moins polluante que le papier. Le marché de la pub sur internet est actuellement récupéré par les géants du numérique, les Gafam. On assiste donc à une délocalisation de l’emploi et de la pollution. » Désormais, c’est toute la filière de la publicité et du mannequinat qui serait touchée. « D’autres faillites et suppressions d’emplois sont à venir », avertit le SNPEP-FO. Guillaume Commerge estime, pour sa part, qu’il faut avoir une réflexion de fond sur le principe même de la publicité : « Comment veut-on valoriser les produits ? Le prospectus est un moyen d’informer les consommateurs. C’est aussi une question de démocratie. »
Sud-PTT parle quant à lui dans un communiqué d’« une démonstration implacable de l’incurie des pouvoirs publics pour accompagner les impacts de la transition écologique » et d’« un signal très inquiétant pour le mouvement écologique ». La loi Climat et Résilience prévoyait un rapport d’évaluation de l’expérimentation « Oui pub » au bout de deux ans. L’Agence de la transition écologique (Ademe) nous a confirmé que le gouvernement le remettrait fin octobre aux parlementaires. Il contiendra notamment une étude comparée de l’impact environnemental des campagnes publicitaires via des imprimés papier et de celles effectuées par voie numérique.
Une partie sera aussi consacrée aux conséquences sur l’emploi du petit autocollant « Oui pub ». Une analyse bien tardive. Milee n’a pas attendu ce rapport, ni la généralisation du dispositif sur tout le territoire, pour mettre la clé sous la po
C’est la fin d’un modèle qui laisse 10 000 salariés au bord de la route. Pourtant, de la route, ces derniers en ont parcouru pour distribuer des prospectus publicitaires dans les boîtes aux lettres. À pied, en voiture ou à vélo. Partout en France et par tous les temps. Le 9 septembre dernier, le tribunal de commerce de Marseille a prononcé la liquidation de leur employeur, la société Milee, ex-Adrexo, et de trois autres sociétés, toutes propriété du groupe Hopps.
Le juge a ainsi acté le licenciement des quelque 5 000 derniers employés. Déjà cet été, 5 000 de leurs collègues avaient été licenciés dans le cadre d’un « plan de sauvegarde de l’emploi ». Milee était en procédure de redressement depuis le 30 mai. Il s’agit du plus gros plan social des quatre dernières décennies.
« J’étais en CDI depuis 2016 chez Milee, témoigne Ludivine, 34 ans, qui rayonnait dans le secteur de Roubaix-Tourcoing.
J’en ai fait des kilomètres, avec mon chariot. Je ne les comptais plus ! » Elle gagnait « entre 1 700 et 1 900 euros» les premières années. Mais à son retour de congé parental, en octobre 2023, ce fut la douche froide : son salaire avait été divisé par trois. « Je ne gagnais plus que 600 euros pour le même nombre d’heures, soit 26 heures par semaine, et sans remboursement des frais de gazole. Ils voulaient nous pousser à partir », analyse- t-elle aujourd’hui.
En réaction à cette mesure, les enseignes de la grande distribution, principales clientes de Milee, ont commencé à réduire le nombre de leurs catalogues publicitaires, voire à les supprimer. Le marché aurait diminué de moitié en quatre ans, passant de 10,4 milliards d’imprimés publicitaires en 2019 à 5,7 milliards en 2023, selon La Poste.